Chapitre 1
C’était une belle matinée de printemps ; Louis était assis sur les marches de la véranda devant la maison et mille choses se passaient autour de lui : des nuages ventrus se promenaient dans le ciel bleu, un oiseau construisait son nid dans un arbre tout proche, une vache passait dans le pré voisin, un lièvre détalait, et une coccinelle cheminait lentement sur une herbe. Pourtant, Louis Braille ne voyait rien de tout cela. Ce petit garçon était aveugle.
Il ne l’avait pas toujours été. Comme les autres, durant les trois premières années de sa vie, Louis avait vu les arbres, les champs, la rivière, le ciel et les rues de Coupvray, la petite ville où il vivait. Il avait vu sa mère et son père, son frère et ses sœurs et la petite maison de pierre qu’ils habitaient.
Le père de Louis était sellier. « Le meilleur de France », se plaisait-il à dire. À des kilomètres à la ronde, on commandait à Simon Braille des selles et des harnais pour les chevaux. Louis aimait écouter les conversations, les plaisanteries et les rires des clients, mais il aimait mieux encore les voir partir. Son père mettait alors le gros tablier de cuir et commençait son travail.
Louis était trop petit pour l’aider, il n’avait que trois ans. Mais il savait déjà que, plus tard, il serait sellier comme son père !
De gros rouleaux de cuir s’entassaient à côté de l’établi ; des rangées d’outils étaient accrochées le long du mur. Des outils pour tordre le cuir, pour le tendre, pour le couper ou pour y faire des trous. Des couteaux, des maillets, des poinçons, des alênes – Louis les connaissait tous.
Et il était impatient de pouvoir s’en servir.
— Ils sont trop coupants, disait son père, trop dangereux pour les mains d’un petit garçon. Tu comprends, Louis ?
Louis ouvrait de grands yeux. La voix de son père était tellement sévère.
— Oui, papa, disait-il.
— Alors promets-moi de ne pas y toucher.
— Je te le promets.
Mais les promesses sont parfois difficiles à tenir.
Par une chaude journée d’été, Louis allait et venait devant la maison. Il ne savait pas quoi faire. Tout le monde était occupé. Trop occupé pour se soucier de lui.
Bien sûr, il aurait pu jouer tout seul, mais il n’avait justement pas envie de jouer tout seul. Il essaya bien d’aider sa mère au jardin mais à trois ans, il n’est pas toujours facile de faire la différence entre les bonnes et les mauvaises herbes.
— Oh ! Louis, s’écria sa mère, voilà la troisième carotte que tu arraches. C’est gentil de m’aider, mais ne pourrais-tu pas aider quelqu’un d’autre ?
Mais les autres non plus ne voulaient pas de Louis, et il s’ennuyait de plus en plus.
Finalement, il se retrouva devant l’atelier de son père. Une forte odeur de cuir flottait dans l’air. Prudemment, il regarda à l’intérieur, et s’approcha de l’établi. Juste au milieu se trouvait un grand morceau de cuir. Tout à côté, une alêne – un long outil pointu servant à trouer le cuir. Louis savait bien qu’il ne devait pas y toucher.
Pourtant, il prit l’alêne et commença à faire des trous. Le cuir était glissant et l’alêne dérapa, s’échappa des mains de l’enfant – elle plongea dans l’œil de Louis.
Louis hurla. Sa mère arriva en courant, le prit dans ses bras et baigna son œil. Le médecin vint aussi vite qu’il le put. Mais l’œil de Louis avait été gravement touché. Il s’infecta. Louis le frottait et le frottait encore, et l’autre œil s’infecta. Puis il y eut comme un rideau grisâtre devant les yeux de Louis. Il voyait encore mais faiblement, de plus en plus faiblement.
Un jour il vit à peine le soleil à travers la fenêtre, et le lendemain il ne le vit plus du tout.
Louis était trop petit pour comprendre ce qui lui arrivait. « Quand est-ce que ce sera le matin ? » demandait-il sans cesse. Cette question était une torture pour ses parents, mais la réponse qu’ils n’osaient pas lui donner l’était plus encore. « Jamais plus. »
Louis Braille serait à jamais aveugle.